• Voici le moment où le héros, Raskolnikov, commet le meurtre d'une vieille femme avare, qui lui avait mis en gage quelques objets de peu de valeur. Nous sommes dans le regard du narrateur, qui a prémédité son geste.

     "Il n'y avait plus une seconde à perdre; il retira la hache de dessous son pardessus, l'éleva à deux mains et d'un geste mou, presque machinal, la laissa retomber sur la tête de la vieille.

    Il lui semblait n'avoir plus de forces; elles lui revinrent dès qu'il eut frappé une fois.

    La vieille était tête nue, selon son habitude; ses cheveux clairs, grisonnants et rares, abondamment frottés d'huile, étaient tressés en une petite queue de rat, retenue sur la nuque par un fragment de peigne en corne; comme elle était de petite taille, le coup l'atteignit à la tempe. Elle poussa un faible cri et soudain s'affaissa par terre après avoir cependant eu le temps de porter les mains à sa tête. L'une portait encore le gage. Alors Raskolnikov la frappa de toutes ses forces deux fois, l'une après l'autre, à la tempe. Le sang jaillit à flot comme d'un verre renversé; le corps s'abattit. Il recula pour le laisser tomber, puis se pencha sur son visage. elle était déjà morte. Les yeux grands ouverts semblaient prêts à sortir de leurs orbites, le front et toute la figure étaient ridés et défigurés par les dernières convulsions.

    Il déposa la hache sur le plancher près du cadavre et se mit immédiatement à fouiller, en prenant bien soin d'éviter les taches de sang, cette même poche droite d'où il lui avait vu tirer ses clefs la dernière fois. Il avait toute sa présence d'esprit, et n'éprouvait plus ni étourdissements, ni vertiges. Seules ses mains continuaient à trembler. Plus tard, il se souvint d'avoir été très attentif, très prudent et même capable d'appliquer tous ses soins à ne pas se tâcher... Il trouva très rapidement les clefs. Elles formaient comme la dernière fois un seul trousseau, fixé à un anneau d'acier."


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  • Voici un nouvel exemple de justification du libertinage par Clitandre, dans La Nuit et le moment, de Crébillon. On appréciera la cohérence argumentative qui soutient la thèse selon laquelle la raison justifie le libertinage. Cet éloge spirituel de la chair matérielle fait ainsi naître l'espace du fantasme dans l'implicite et le non dit. C'est pourquoi le langage fonctionne ici comme un aphrodisiaque, et que le discours devient un fétiche érotique...

    Clitandre – [...] Avant, par exemple, que nous sussions raisonner si bien, nous faisions sûrement tout ce que nous faisons aujourd'hui; mais nous le faisions, entraînés par le torrent, sans connaissance de cause et avec cette timidité que donnent les préjugés. Nous n'étions pas plus estimables qu'aujourd'hui, mais nous voulions le paraître; et il ne se pouvait pas qu'une prétention si absurde ne gênât beaucoup les plaisirs. Enfin, nous avons eu le bonheur d'arriver au vrai : eh! Que n'en résulte-t-il pas pour nous ? Jamais les femmes n'ont mis moins de grimaces dans la société ; jamais l'on n'a moins affecté la vertu. On se plaît, on se prend. S'ennuie-t-on l'un avec l'autre ? on se quitte avec tout aussi peu de cérémonie que l'on s'est pris. Revient-on à se plaire ? on se reprend avec autant de vivacité que si c'était la première fois qu'on s'engageât ensemble. On se quitte encore, et jamais on ne se brouille. Il est vrai que l'amour n'est entré pour rien dans tout cela ; mais l'amour, qu'était-il qu'un désir que l'on se plaisait à s'éxagérer ? Un mouvement des sens, dont il avait plu à la vanité des hommes de faire une vertu ? On sait aujourd'hui que le goût seul existe; et si l'on se dit encore qu'on s'aime, c'est bien moins parce qu'on le croit, que parce que c'est une façon plus polie de se demander réciproquement ce dont on sent qu'on a besoin. Comme on s'est pris sans s'aimer, on se quitte sans se haïr; et l'on retire du moins, du faible goût que l'on s'est mutuellement inspiré, l'avantage d'être toujours prêts à s'obliger.


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  • Voici l'incipit d'un livre hilarant, La Conjuration des imbéciles, de John, Kennedy Toole. Je ne comprends pas que ce livre soit si peu connu :

    Une casquette de chasse verte enserrait le sommet du ballon charnu d'une tête. Les oreillettes vertes, pleines de grandes oreilles, de cheveux rebelles au ciseau et des fines soies qui croissaient à l'intérieur même desdites oreilles, saillaient de part et d'autre comme deux flèches indiquant simultanément deux directions opposées. Des lèvres pleines, boudeuses, s'avancaient sous la moustache noire et broussailleuse et, à leur commissure, s'enfonçaient en petits plis pleins de désapprobation et de miettes de pommes de terre chips. A l'ombre de la visière verte, les yeux dédaigneux d'Ignatius J. Reilly dardaient leur regard bleu et jaune sur les gens qui attendaient comme lui sous la pendule du grand magasin D.H.Holmes, scrutant la foule à la recherche des signes de son mauvais goût vestimentaire. Plusieurs tenues, remarqua Ignatius, étaient assez neuves et assez couteuses pour être légitimement considérées comme des atteintes au bon goût et à la décence. La possession de tout objet neuf ou coûteux dénotait l'absence de théologie et de géométrie du possesseur, quand elle ne jetait pas tout simplement des doutes sur l'existence de son âme.


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  • Voici un extrait de La Nuit et le moment, de Crébillon, qui présente un dialogue entre deux libertins, Clitandre et Cidalise. Clitandre justifie ici, avec une parodie de vocabulaire moraliste, ses débauches.

    Clitandre : Comment voulez-vous qu'on fasse ? On est dans le monde, on s'y ennuie, on voit des femmes, qui, de leur côté, ne s'y amusent guère : on est jeune; la vanité se joint au désoeuvrement. Si avoir une femme, n'est pas toujours un plaisir, du moins c'est toujours une sorte d'occupation. L'amour, ou ce qu'on appelle ainsi, étant malheureusement pour les femmes, ce qui leur plaît le plus, nous ne les trouvons pas toujours insensibles à nos soins : d'ailleurs, les transports d'un amant, sont la preuve la plus réelle qu'elles aient de ce qu'elles valent. J'ai quelquefois été désoeuvré; j'ai trouvé des femmes qui n'étaient peut-être pas encore bien sûres du pouvoir de leurs charmes ; et voilà ce qui fait que comme vous dites, j'en ai eu quelques-unes.


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