• Voici le moment où le héros, Raskolnikov, commet le meurtre d'une vieille femme avare, qui lui avait mis en gage quelques objets de peu de valeur. Nous sommes dans le regard du narrateur, qui a prémédité son geste.

     "Il n'y avait plus une seconde à perdre; il retira la hache de dessous son pardessus, l'éleva à deux mains et d'un geste mou, presque machinal, la laissa retomber sur la tête de la vieille.

    Il lui semblait n'avoir plus de forces; elles lui revinrent dès qu'il eut frappé une fois.

    La vieille était tête nue, selon son habitude; ses cheveux clairs, grisonnants et rares, abondamment frottés d'huile, étaient tressés en une petite queue de rat, retenue sur la nuque par un fragment de peigne en corne; comme elle était de petite taille, le coup l'atteignit à la tempe. Elle poussa un faible cri et soudain s'affaissa par terre après avoir cependant eu le temps de porter les mains à sa tête. L'une portait encore le gage. Alors Raskolnikov la frappa de toutes ses forces deux fois, l'une après l'autre, à la tempe. Le sang jaillit à flot comme d'un verre renversé; le corps s'abattit. Il recula pour le laisser tomber, puis se pencha sur son visage. elle était déjà morte. Les yeux grands ouverts semblaient prêts à sortir de leurs orbites, le front et toute la figure étaient ridés et défigurés par les dernières convulsions.

    Il déposa la hache sur le plancher près du cadavre et se mit immédiatement à fouiller, en prenant bien soin d'éviter les taches de sang, cette même poche droite d'où il lui avait vu tirer ses clefs la dernière fois. Il avait toute sa présence d'esprit, et n'éprouvait plus ni étourdissements, ni vertiges. Seules ses mains continuaient à trembler. Plus tard, il se souvint d'avoir été très attentif, très prudent et même capable d'appliquer tous ses soins à ne pas se tâcher... Il trouva très rapidement les clefs. Elles formaient comme la dernière fois un seul trousseau, fixé à un anneau d'acier."


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  • Le spectateur de la série Alias est attiré par les déguisements que revêt Sidney Bristow à chaque misssion. Cet art du camoufflage a donné son nom à la série (alias, c‘est celle qui est autre) et a également fourni le thème du générique de la dernière saison. Autant dire que le plaisir du spectateur naît quand il reconnaît son héroïne là où les méchants se laissent prendre par la mascarade organisée par la CIA. L'univers de l'image comme source d'illusion fait en ce sens de la reconnaissance un procédé majeur de la série

    Si la reconnaissance est le ressort narratif principal de la série, c'est cependant aussi parce que le personnage est en quête d‘une forme plus importante de reconnaissance: celle du père, qui pose le problème de l'identité de l'héroïne sur un plan psychanalytique. Le travail de l‘image n‘est plus seulement formel, il prend ainsi une dimension symbolique.

    Enfin, le spectateur semble connaître un plaisir particulier parce que ce ressort narratif épouse la structure de la série, qui propose d'accéder à une connaissance mystique, incarnée par l'autre père, Rambaldi: dans la mémoire même de la série (sa re-connaissance) en évoquant des souvenirs que le spectateur partage avec les personnages, la série revendique et conquiert une reconnaissance esthétique. En faisant de Sidney l'héroïne de la reconnaissance, l'image se fait en définitive icône.

    Voici le plan d'un ouvrage que je publierai si on me le demande :

    I. Un procédé narratif complexe qui enchante le réel

    • Sidney et la problématique du même et de l‘autre
    • les personnages à double vie et l‘aporie de l‘identité
    • la structure dramatique de la révélation, du coup de théâtre
    • la dialectique du réalisme et du merveilleux : fécondité de la reconnaissance

    II. Une quête de reconnaissance : le plan symbolique de l'action

    • les histoires de famille : des rapports de force et d'amour pervers
    • une dialectique du maître et de l‘esclave: entre vanité et rivalité, entre action et fantasme
    • alias ou le dépassement du stade du miroir, grâce à l‘image cinématographique

    III. La re-connaissance et la revendication de la série

    • Rambaldi : la quête du spectateur
    • L'esthétique du retour en arrière
    • La mémoire de la série et l'autoréférence : la revendication d'une reconnaissance publique

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  • Voici un nouvel exemple de justification du libertinage par Clitandre, dans La Nuit et le moment, de Crébillon. On appréciera la cohérence argumentative qui soutient la thèse selon laquelle la raison justifie le libertinage. Cet éloge spirituel de la chair matérielle fait ainsi naître l'espace du fantasme dans l'implicite et le non dit. C'est pourquoi le langage fonctionne ici comme un aphrodisiaque, et que le discours devient un fétiche érotique...

    Clitandre – [...] Avant, par exemple, que nous sussions raisonner si bien, nous faisions sûrement tout ce que nous faisons aujourd'hui; mais nous le faisions, entraînés par le torrent, sans connaissance de cause et avec cette timidité que donnent les préjugés. Nous n'étions pas plus estimables qu'aujourd'hui, mais nous voulions le paraître; et il ne se pouvait pas qu'une prétention si absurde ne gênât beaucoup les plaisirs. Enfin, nous avons eu le bonheur d'arriver au vrai : eh! Que n'en résulte-t-il pas pour nous ? Jamais les femmes n'ont mis moins de grimaces dans la société ; jamais l'on n'a moins affecté la vertu. On se plaît, on se prend. S'ennuie-t-on l'un avec l'autre ? on se quitte avec tout aussi peu de cérémonie que l'on s'est pris. Revient-on à se plaire ? on se reprend avec autant de vivacité que si c'était la première fois qu'on s'engageât ensemble. On se quitte encore, et jamais on ne se brouille. Il est vrai que l'amour n'est entré pour rien dans tout cela ; mais l'amour, qu'était-il qu'un désir que l'on se plaisait à s'éxagérer ? Un mouvement des sens, dont il avait plu à la vanité des hommes de faire une vertu ? On sait aujourd'hui que le goût seul existe; et si l'on se dit encore qu'on s'aime, c'est bien moins parce qu'on le croit, que parce que c'est une façon plus polie de se demander réciproquement ce dont on sent qu'on a besoin. Comme on s'est pris sans s'aimer, on se quitte sans se haïr; et l'on retire du moins, du faible goût que l'on s'est mutuellement inspiré, l'avantage d'être toujours prêts à s'obliger.


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  • Monsieur, ou Madame, ou qui que vous soyez,

    J'ai longtemps hésité avant de vous écrire cette lettre. Né de père inconnu et de mère incertaine... trouvé dans un terrain vague, je, non soussigné, fus élevé par un bienfaiteur anonyme. Je grandis clandestinement dans un lieu imprécis.

    Après avoir fait des études par correspondance dans une solitude complète... je regagnai sans papiers et sans bagages, par une route qui n'est plus sur la carte, un endroit que je ne peux révéler...

    Là, j'écrivis plusieurs lettres anonymes à des correspondants lointains...

    Sur le point d'être découvert... je m'enfuis dans le désert... d'où je vous écris...

    Peut-être souhaiteriez-vous savoir pourquoi je me confie ainsi à vous dont j'ignore l'identité ? C'est dans un moment de dépression... tout simplement ! N'y voyez pas d'autres raisons ! Ne cherchez pas à savoir qui je suis... mon nom ne vous dirait rien.

    Et je signe d'une main incertaine :

    LE SUSNOMME


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  • La lettre, une liaison dangereuse

    Liaison a priori intime d'un émetteur et d'un récepteur (Mme de Sévigné et sa fille, lettres de Van Gogh à son frère, lettres d'amour...), la lettre ne véhicule pas seulement un message qui célèbre ce lien (comme dans la lettre d'amour, qui n'a pas d'autre fonction, et qui, par conséquent, n'a pas réellement de message... ). La lettre sert surtout à mettre en question l'intimité de cette liaison, car on n'écrit pas pour ne rien dire, ou lorsque tout va bien : l'écriture d'une lettre est liée à un moment de crise, la lettre est l'expression d'une demande urgente ou d'un message pressant, essentiel. C'est pourquoi la lettre est plus souvent l'occasion d'une rupture que d'une simple déclaration : elle devient le support d'un discours libéré, car distant. Plus, elle peut être une déclaration publique (J'accuse). L'écart spatial et temporel qui sépare l'émetteur et le récepteur ouvre une situation propice à la réflexion. La pensée, l'esprit se libèrent de la lettre, quitte à ruiner la stabilité de la relation... La lettre peut même être le support du libertinage, en véhiculant un discours qui subvertit la morale de l'amour (Laclos). Enfin, cette logique de la rupture par l'écriture est lisible de manière définitive dans Inconnu à cette adresse, où le seul fait d'envoyer une lettre, même dépourvue de tout message, condamne son récepteur à mort. De l'amour à la mort, du lien à la rupture, la lettre est dangereuse, l'émetteur peut se trahir, le récepteur peut être piégé par l'interprétation des propos. Le sens des mots débordent et échappent.


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